PROLOGUE

L’objet de ses désirs descendait de l’autre côté de la voie aérienne, par un trottoir tellement envahi par le lierre et le corail yorik que même les gangs y avançaient en file indienne. Il était deux niveaux plus bas et dix mètres devant. Il s’arrêtait sans cesse pour étudier les portes membraneuses et regarder à travers les fenêtres des bâtiments incrustés de coraux. Puis il restait dans la pénombre, les mains ballantes, comme si nul Jedi n’avait à craindre les dangers de la ville basse... comme s’il régnait sur les profondeurs crépusculaires où Coruscant devenait Yuuzhan’tar.

Jacen Solo était toujours aussi arrogant – et cette fois cela signifierait sa perte.

L’angle était parfait, presque trop parfait. Si elle frappait maintenant, il serait mort au moment où il toucherait le sol. Et si les détrousseurs de cadavres ne le jetaient pas par-dessus bord, seules une minuscule fléchette et une infime trace de venin dans son système nerveux trahiraient ce qui l’avait tué. Nul ne saurait jamais qu’il avait été exécuté – pas même lui !

Or Alema Rar voulait qu’ils le sachent tous. Elle désirait voir le choc dans le regard de Jacen quand il s’écroulerait, sentir la brûlure de sa peur dans la Force au moment où son cœur cesserait de battre et se serrerait comme un poing. Elle avait besoin de le tenir dans ses bras alors qu’il rendrait son dernier souffle, d’entendre son père jurer et, plus que tout, sa mère gémir de chagrin.

Oui, cela, surtout.

Alema avait passé des années à se demander ce qu’elle pourrait enlever à Leia Solo qui soit égal à tout ce qu’elle avait perdu par sa faute. La moitié d’un pied et les cinq orteils ? Ce serait équitable, puisque c’était ce que Leia lui avait sectionné sur Tenupe. Et les yeux et les oreilles de la Princesse feraient l’affaire pour le lekku qu’elle lui avait sectionné à bord de l’Amiral Ackbar. Mais trouverait-elle jamais punition équivalente à la fois où Leia l’avait abandonnée dans la jungle ténupienne pour servir de déjeuner à une arachnesseux ?

Car il ne s’agissait ni de vengeance ni de cruauté. C’était une question d’équilibre. L’arachnesseux avait failli la tuer et pratiquement couper en deux son gracile corps de danseuse, le laissant couvert de cicatrices, chose hideuse que seul un Rodien pouvait désormais trouver attirant. Maintenant Alema devait prendre quelque chose à Leia qui l’ébranle jusqu’au tréfonds de son être... parce que c’était cela être un Jedi – servir l’Équilibre.

Et la première chose qu’Alema voulait lui prendre, c’était Jacen. Cela faisait longtemps qu’elle en rêvait, depuis qu’il était revenu plus mystérieux et plus puissant de son voyage de cinq ans pour étudier la Force. Et elle y arriverait – peut-être pas de la manière qu’elle avait imaginée, mais elle y arriverait.

Alema se dépêcha de gagner le pont le plus proche pour ne pas perdre sa proie. Jacen était à cinquante mètres, mais elle ne pouvait pas utiliser la Force pour sauter d’une voie à l’autre. Le coin grouillait de Ferais, ces survivants à moitié sauvages de l’invasion des Yuuzhan Vong, qui vivaient leur existence primitive dans les profondeurs. S’ils voyaient Alema faire une chose aussi extraordinaire, Jacen discernerait leur surprise.

Alors qu’elle approchait de la passerelle, une brûlure sourde se fit sentir au bout du moignon de son lekku. Elle s’arrêta et se glissa dans l’ombre autant que le corail le permettait, puis elle se tint immobile, écoutant les Ferais murmurer derrière leurs portes. Ne percevant aucun danger, elle étendit sa perception dans la Force et sentit deux présences nerveuses derrière elle.

Alema pivota et découvrit deux jeunes humains aux joues creuses et aux yeux enfoncés dans leurs orbites. Ils sortaient de leur cachette – une cage d’escalier si bien recouverte de coraux qu’elle ne l’avait pas vue. Quand ils comprirent qu’elle les avait repérés, ils voulurent reculer.

Alema les saisit dans la Force. Ils s’exclamèrent, surpris, et essayèrent de s’accrocher aux excroissances coralliennes, s’y entaillant les doigts. Leurs mêmes fronts étroits et leurs nez ronds indiquaient qu’ils étaient frères. Elle esquissa un sourire grimaçant, savourant cette sensation de pouvoir qui coulait dans ses veines, quand la surprise laissa place à la peur.

— Qu’aviez-vous prévu de nous faire ?

Alema parlait toujours d’elle-même au pluriel, habitude prise en devenant une Affiliée killik et qu’elle ne comptait pas changer. Utiliser le singulier reviendrait à admettre que son nid avait disparu – que Jacen, Luke et les autres avaient détruit Gorog – et ce n’était pas vrai. Aussi longtemps qu’elle vivrait.

— Nous voler ? Nous assassiner ? Nous violer ?

Les frères secouèrent la tête et ouvrirent la bouche, mais ils trouvaient son physique trop repoussant pour émettre le moindre son.

— Fixer les gens est très impoli, lança-t-elle en les plaquant contre le mur.

— Posez-nous ! ordonna le plus costaud.

Il avait un visage fin et l’ombre d’une moustache se dessinait sur sa lèvre supérieure. Il venait d’entrer depuis peu dans l’adolescence humaine.

— Nous ne voulions rien faire. C’est juste...

Son regard quitta le visage d’Alema pour se poser sur le moignon de son lekku. Alema avait troqué son costume provocant pour la tenue traditionnelle des Jedi, mais même cela ne pouvait dissimuler tout à fait son corps difforme et le bras atrophié qui pendait à son côté. Alors que les yeux du gamin se baissaient, elle sentit son dégoût – pis, elle l’éprouva comme s’il était sien.

— C’est juste que quoi ? fit-elle. Parlez !

Dans sa colère, elle les pressait si fort contre la cloison qu’ils avaient la respiration sifflante. Ce fut le plus jeune qui répondit :

— C’est juste que... (Il hocha la tête en direction du sabre laser à sa ceinture.) Vous êtes une Jedi.

Alema sourit froidement.

— Petits malins, prétendre que vous n’aviez encore jamais vu de Jedi.

Elle tourna la tête. À une dizaine de mètres, un radank écailleux avait acculé un Falleen dans un enchevêtrement de lierre aux feuilles coupantes. Elle se tourna de nouveau vers les deux garçons.

— Mais nous possédons la Force. Nous savons bien ce que vous regardiez.

Laissant l’aîné tomber, elle pointa le doigt vers la vigne vierge, utilisant la Force pour projeter l’autre à côté du Falleen. Le radank surpris se cabra, levant ses pattes antérieures aux griffes acérées. Puis il renifla sa nouvelle proie.

Le petit gémit et appela à l’aide.

Alema regarda le grand, qui essayait déjà de rejoindre son frère.

— Va ! fit-elle avec un rire cruel. Quand le radank en aura fini avec vous, vous saurez ce que nous ressentons !

Elle lut de la peur dans le regard du jeune humain, pourtant il sortit un bout de duracier tranchant de sa manche et se précipita au secours de son frère.

Alema reprit sa route et, tandis que les bruits d’un combat lui parvenaient, elle se permit un sourire satisfait. Les gamins s’étaient moqués de son apparence et ils allaient être défigurés à leur tour. L’Équilibre avait été préservé.

Soudain, elle pressentit un nouveau danger. Quelqu’un l’observait-il ? Jacen avait paru être seul alors qu’il quittait son appartement, mais en tant que commandant de la Garde de l’Alliance Galactique, il était la cible de multiples assassins. Son jeune apprenti, Ben Skywalker, l’avait peut-être suivi pour le protéger.

Alema étendit précautionneusement ses perceptions, cherchant dans les ombres derrière elle la lumière vive qui trahissait la présence d’un tout jeune Jedi. Mais elle ne vit rien et se dit que son malaise devait venir du clan qui tentait de faire passer une Gamorréenne par-dessus le garde-fou du pont. Comme elle avançait, ils se déployèrent et se moquèrent de son apparence. Ils étaient tous humains, jeunes et mâles, vêtus de tabards blancs couverts de diverses pièces d’armure en plastoïde.

— Vous vous prenez pour quoi ? cracha leur chef en toisant sa robe noire. Une sorte de Jedi ?

C’était un homme costaud, au visage mangé par une barbe de trois jours. L’une de ses joues était enflée.

— Nous n’avons pas le temps de jouer, répondit Alema. Retournez vous amuser avec la Gamorréenne. (Elle lui fit signe de déguerpir, mais toucha son esprit avec la Force.) D’ailleurs ce serait bien plus drôle pour vous si c’était elle qui poussait.

Joue Enflée fronça les sourcils, puis regarda ses camarades.

— Elle n’a pas le temps de jouer. (Il partit vers la Gamorréenne, qui s’éloignait déjà, aussi vite que ses jambes épaisses pouvaient la porter.) Attrapez-la ! Je viens d’avoir une autre idée.

Ils obéirent comme un seul homme.

Quand Alema les rattrapa, ils se disputaient pour savoir qui se ferait bousculer le premier. Elle les dépassa en souriant.

L’Equilibre, toujours.

De l’autre côté du pont, Jacen n’était nulle part en vue. Il avait dû tourner au coin ou entrer dans une maison alors qu’elle s’occupait de la vermine de la cité. Elle tira son sabre laser et continua d’avancer, s’attendant à tout instant à sentir la garde d’une autre arme contre ses côtes juste avant que sa proie ne l’active.

Mais elle ne croisa rien de plus dangereux que des skrats, qui s’égaillèrent à son approche. Elle releva cependant un fait étrange. Nombre de Ferais de diverses espèces – Bith, Bothans, Ho’Din – entraient dans le même bâtiment avec des carcasses d’aigles chauves-souris, de limaces du granit et de yanskacs visqueux. Elle vit même un Chevin qui serrait un Ewok mort dans ses longues griffes. Il s’agissait sans doute de résidents rentrant à la fin du jour avec leurs prises de chasse, mais Alema préféra se tenir sur ses gardes.

Nul ne l’attaqua quand elle passa devant la membrane, mais elle sentit trois présences dans la Force à l’intérieur et elle les ignora – Jacen ne se trahirait jamais ainsi. Elle troqua donc son sabre laser pour une sarbacane, qu’elle arma d’une fléchette tirée d’un compartiment de sa ceinture. Alema en avait huit autres semblables – une pour chacun des Solo et des Skywalker, plus deux extra –, toutes fabriquées avec les piquants et le sac à venin d’un wasber ténupien.

Le poison était rapide – du moins sur une créature de la taille d’un humain – mais, plus important, il était infaillible. Il transformait les globules blancs censés combattre l’infection en usine à produire des toxines. En quelques instants, les organes de la victime commençaient à se détériorer pour finalement cesser de fonctionner. Jacen vivrait juste assez longtemps pour connaître l’identité de son assassin. Il mourrait sans doute avant de comprendre qu’aucune technique Jedi ne pouvait le sauver.

Alema leva son arme et tourna à l’intersection, son corps vibrant déjà à l’idée du meurtre qu’elle allait commettre...

Personne.

Il n’y avait pas âme qui vive. Jacen semblait réellement vouloir la décevoir. Se disant qu’il l’avait attirée dans un piège, Alema repassa l’angle et pivota pour regarder d’où elle venait dans le même mouvement, retenant son souffle, prête à tirer.

Mais Jacen ne s’était pas embusqué. Elle sentait bien toujours une menace, la même, mais tellement diffuse. Jacen Solo pouvait-il se cacher ?

Alema sentit la colère monter en elle. C’étaient ces gamins ! Ils l’avaient forcée à leur faire du mal, et Jacen avait toujours été sensible à ces choses-là. Elle les maudit de lui avoir fait perdre le contrôle d’elle-même. Son plan s’en trouvait compliqué, et elle se promit de le leur faire payer – plus tard. Elle devait d’abord retrouver Jacen, car le poison dont ses pointes étaient enduites perdait de son efficacité après une heure.

Alema revint sur ses pas, jusqu’à la porte qu’elle venait de passer, si sombre et encroûtée de coraux qu’elle ressemblait à l’entrée d’une grotte. Elle actionna le mécanisme d’ouverture, et la membrane se rétracta, révélant un Nikto au faciès vert et écailleux et aux yeux cernés de courtes cornes. À la manière dont il gardait la main dans la poche de sa veste, elle comprit qu’il tenait un blaster. Il y avait également deux autres gardes, jugea-t-elle, de part et d’autre, tapis dans l’ombre.

Le Nikto l’étudia un instant.

— Ce n’est pas la bonne porte, dit-il d’une voix râpeuse. Il n’y a rien pour vous ici, madame.

Alema allait se servir de la Force quand son sens du danger l’avertit, si fort que son lekku intact en fut affecté.

Elle pointa son arme vers les pieds du Nikto et lui ordonna d’attendre.

Le regard de la créature d’abord surpris se fit obéissant.

Alema étendit sa perception dans toutes les directions. À son grand étonnement, elle frôla une présence froide – quelque chose de sombre et de sinistre – non loin du pont. Mais quand elle se retourna, elle ne vit que le gang qui encourageait la Gamorréenne à pousser leur chef plus fort contre la rambarde.

Non, il ne s’agissait pas de l’une des brutes. Celui ou celle qu’elle cherchait était puissant dans la Force, et très focalisé... Soudain, le danger disparut, et avec lui la sensation qu’éprouvait Alema.

Elle continua d’étudier le trottoir pendant quelques secondes, essayant de digérer ce qui venait de se passer. Quelqu’un la suivait, c’était désormais une certitude, mais il ne pouvait s’agir de Jacen. Même s’il avait été assez imprudent pour la laisser deviner sa présence – et il ne l’était pas –, le Jacen dont elle se souvenait était tout sauf amer. Solennel et pensif, sans doute, mais également dévoué et sincère.

Alors qui était sur ses talons ? Pas Ben. Il était trop jeune pour éprouver ce genre d’amertume. Et ce n’était pas non plus Jaina. Elle était bien trop fougueuse pour sembler si froide. De plus, la présence était sombre... et pourquoi une personne du Côté Obscur couvrirait-elle Jacen ?

Il devait s’agir d’autre chose.

Et soudain, elle entrevit une autre possibilité. Ce n’était peut-être pas elle qui était suivie, mais Jacen.

Essayait-on de lui voler sa proie ?

Alema reporta son attention sur le Nikto et lui fit signe avec sa sarbacane.

— Avez-vous vu Jacen Solo entrer ?

— Jacen Solo ? fit-il en secouant la tête. Connais aucun Solo.

— C’est ça, cracha-t-elle, l’attirant dehors. On ne voit que lui aux holonews, et elles sont diffusées jusqu’ici. Le Commandant de la Garde de l’Alliance Galactique ? Le sauveur de Coruscant ?

— Pourquoi cet homme viendrait-il ici ? Il n’y a rien qui...

Malgré ses efforts, elle sut aux légers trémolos dans sa voix qu’il dissimulait quelque chose.

— Vous osez mentir à une Jedi ?

Grâce à la Force, elle le prit à la gorge avec son bras mutilé, le souleva du sol et serra jusqu’à ce qu’elle entende un bruit satisfaisant de cartilage broyé. La bouche du Nikto s’ouvrit et un râle s’en échappa. Puis ses yeux roulèrent dans leurs orbites et ses jambes furent prises de spasmes. Elle ne lâcha le Nikto que lorsqu’elle sentit les deux autres gardes sortir. C’étaient des Quarrens à la face couverte de tentacules. Ils dégainèrent leurs blasters E-11.

De nouveau grâce à la Force, Alema les détourna, avant de toucher leur esprit et d’y toucher l’incertitude à laquelle elle s’attendait. Ils savaient qu’ils ne parviendraient pas à l’arrêter et que leur dernière heure avait sonné.

— Vous n’êtes pas forcés de mourir, leur murmura-t-elle, comme si une voix intérieure leur parlait. Vous n’avez pas besoin d’arrêter qui que ce soit.

Ils se détendirent, et elle enjamba le Nikto moribond pour entrer.

— Personne ne doit franchir cette porte, roucoula-t-elle.

Alors qu’elle passait entre eux, elle nota que l’un des Quarrens n’avait que trois tentacules. Leurs yeux ronds commencèrent à se focaliser sur Alema et son E-11.

— Vous n’êtes pas forcés de mourir, répéta-t-elle, écartant le canon. Vous ne nous avez pas vus.

Les yeux redevinrent vitreux.

Quand Alema fut à l’intérieur, elle reprit :

— Vous me connaissez bien. Nous parlons depuis plusieurs minutes.

Ils lui firent face, comme s’ils avaient effectivement discuté ensemble.

— Où croyez-vous qu’il soit allé ? demanda Alema d’une voix normale.

— Qui ? Solo ? fit Trois Tentacules. Elle acquiesça.

— Qu’est-ce que vous croyez ? poursuivit-il. Il est venu LE voir.

— Le ?

Alema avait passé suffisamment d’années dans les bas-fonds de la galaxie pour savoir que certaines choses appelaient des termes vagues. Jacen avait-il un vice secret – une addiction cachée ou une pulsion contractée en captivité ?

— De quoi parlons-nous ? interrogea-t-elle. De jeux mortels ? D’épice ?

L’autre Quarren redressa ses tentacules – la manière pour son espèce de froncer les sourcils.

— C’est une plaisanterie ? Il est ici pour la même raison que tous les autres. Pour le voir. L’Ami.

— Oui, bien sûr.

Alema savait quel genre d’ami les mâles cachaient dans des endroits comme celui-là... le genre auquel ils ne rendaient visite que dans l’anonymat des profondeurs. Le temps que Jacen avait passé avec les Yuuzhan Vong l’avait laissé plus tordu qu’elle ne l’avait supposé. Elle tourna sa sarbacane vers la porte et le Nikto, puis elle employa de nouveau la Force pour dire :

— Votre compagnon a été attaqué par un intrus. Vous l’avez vu le tuer, et bientôt il essaiera d’entrer.

— Pour tuer l’Ami ? haleta le second Quarren.

— Oui, et vous devez l’arrêter.

Trois Tentacules ferma aussitôt la membrane, puis son collègue et lui pointèrent leurs armes vers celle-ci. Pour la garder.

— Parfait, dit Alema.

Elle se retourna, sachant que les Quarrens l’avaient déjà oubliée. Pendant son séjour chez les Killik, la reine de son nid – une Jedi Noire nommée Lomi Plo – l’avait aidée à développer une présence furtive dans la Force. Désormais, quand Alema disparaissait de la vue d’une personne, celle-ci l’oubliait aussitôt.

Alema quitta le vestibule pour un labyrinthe de couloirs qui avaient tout de tunnels, éclairés par du lichen luminescent, typiques des habitations des Yuuzhan Vong. Elle choisit la galerie la plus large et partit d’un bon pas, sachant qu’elle devait se dépêcher si elle voulait être celle qui tuerait Jacen. Les Quarrens ne réussiraient pas à retarder son poursuivant très longtemps.

L’air devint rapidement chaud et humide, mêlé de bouffées d’ammoniaque et de soufre. Alema fronça le nez et se demanda dans quel genre de lieu de débauche elle avait mis les pieds. Elle n’avait jamais utilisé d’épices qui sentent cela. La puanteur était presque assez forte pour arrêter un rancor en rut.

Elle venait d’atteindre un embranchement quand elle entendit des tirs de blaster – les gardes avaient ouvert le feu sur son ombre mystérieuse. Alema jeta un coup d’œil dans l’étroit passage qui s’ouvrait de côté. On aurait dit une grotte de joie kala’uun, avec une pièce centrale entourée d’alcôves privées. Était-ce là qu’elle trouverait Jacen et son ami ?

Un étrange chœur de vrombissements et de claquements lui parvint de l’entrée, et les déflagrations cessèrent aussitôt. Son poursuivant utilisait donc une sorte de sabre laser – et il savait s’en servir. Les Quarrens lui avaient fait gagner moins de temps qu’escompté.

Où donc était passé Jacen ? Le chercher avec la Force ne servirait à rien et pourrait même s’avérer désastreux. Même s’il ne dissimulait pas sa présence, il la sentirait, et Alema ne pouvait l’emporter sur Jacen Solo en duel, pas avec un bras inutilisable et un demi-pied maladroit.

Heureusement, Alema connaissait les mâles. Elle savait que plus ils étaient importants, moins ils aimaient attendre pour assouvir leurs passions secrètes.

Elle gagna la chambre et fut surprise de ne trouver aucun vendeur d’épice, aucune fille de mauvaise vie en attente d’un client. Il n’y avait pas même un bar, rien qu’une fontaine glougloutant au centre de la salle et un distributeur relégué dans un coin. Les portes de la plupart des cellules étaient ouvertes, révélant des lits, des nids ou de simples paillasses.

Alema pouvait sentir des êtres derrière les membranes closes. Elle approcha de la première et, portant la sarbacane à ses lèvres, elle pressa sur l’ouverture. Ce qu’elle vit la laissa stupéfaite : deux Jenet couchés sur des coussins, en position fœtale. Il n’y avait pas d’épice, pas d’aphrodisiaque, ni de verre. Ils dormaient – simplement. Et pas un n’ouvrit un œil quand elle grogna d’incrédulité.

Alema ouvrit deux autres alcôves, l’une dans laquelle elle découvrit un Duros, et l’autre occupée par un trio de Chadra-Fan. Elle était apparemment tombée sur un dortoir. Jurant entre ses dents, elle se demanda quel genre de cloaque avaient les quartiers du personnel sur le devant ?

Alors qu’elle retournait vers le corridor principal, elle aperçut l’ombre de son poursuivant sur le mur. Elle se pressa contre la paroi, étouffant sa présence autant que possible, puis elle jeta un coup d’œil et vit une mince femme en robe rouge.

L’humaine était d’âge moyen, avec des cheveux roux, un nez fin, et le bas du visage caché par une écharpe noire. Dans une main, elle tenait un rouleau de lanières de cuir et de tiges de métal incrustées de gemmes attachées à ce qui ressemblait à la poignée d’un sabre laser.

Alema fut si choquée qu’elle faillit se trahir. À l’Académie Jedi, sur Yavin 4, elle avait étudié l’histoire de l’agent impérial Shira Brie. Celle-ci avait tenté de discréditer Luke aux yeux de ses camarades pilotes, mais elle s’était fait abattre et elle avait failli y rester. Dark Vador l’avait transformée en un être comme lui, moitié machine, puis entraînée pour qu’elle devienne une Sith. C’est alors qu’elle avait fabriqué son fouet laser et pris le nom de Lumiya, Dame Noire des Sith.

Se pouvait-il que Lumiya soit de retour une fois de plus ? Pour Alema, cela ne faisait aucun doute. La femme était du même âge et elle dissimulait sa bouche et sa mâchoire derrière un foulard, tout comme la Sith. De plus, elle possédait une arme unique à l’ère du Jedi moderne.

Et elle pourchasse Jacen Solo.

Alema se rencogna, l’esprit en ébullition, et tenta d’y voir plus clair. Elle savait que Lumiya haïssait les Solo et les Skywalker presque autant qu’elle, aussi leur objectif devait être le même – détruire le clan Solo-Skywalker. Mais Alema ne pouvait pas permettre à Lumiya de la devancer. Si elle désirait servir l’Équilibre, elle devait détruire ses proies elle-même.

Elle inspira profondément et, portant la sarbacane à ses lèvres, elle passa le coin.

Mais le couloir était désert.

Elle s’empressa de retourner dans le passage plus étroit, s’attendant à ce que Lumiya jaillisse d’un flou créé par la Force.

Mais rien de tout cela n’arriva. Alema se redressa et ouvrit sa conscience pour détecter la Sith, sans rien trouver.

Elle jeta un coup d’œil prudent dans le couloir, et comme aucune attaque ne se produisait, elle étudia les murs et le plafond, cherchant une ombre étrange ou un brouillage où Lumiya aurait pu se cacher.

Mais Lumiya avait disparu aussi vite qu’elle était apparue.

Alema se sentit soudain vide et glacée à l’intérieur, et elle commença à se demander si elle n’avait pas rêvé. Peut-être s’était-il agi d’une vision... ou bien était-elle à nouveau malade ? Une fois, alors qu’elle se trouvait dans la jungle ténupienne depuis près d’un an, elle avait exploré les temples massassi sur Yavin 4 avec Numa, sa sœur aujourd’hui disparue. Et elle s’était retrouvée coincée dans les montagnes à cause d’une forte fièvre.

Mais une autre explication semblait plus plausible : Lumiya se rapprochait de Jacen.

Alema partit en courant, de plus en plus inquiète à l’idée que la Sith arrive avant elle. Elle en oubliait la prudence et s’enfonçait toujours plus profond dans la chaleur et l’humidité puantes.

Deux fois, elle fonça dans des Ferais étonnés, et deux fois elle dut les tuer en constatant qu’ils avaient d’abord cherché à lui mentir avant de lui indiquer le bon chemin. Alors qu’elle descendait une rampe, elle entendit un groupe armé monter. Elle s’enfonça entre deux coulées de lichen et utilisa la Force pour s’envelopper d’ombre. Puis elle attendit impatiemment qu’il soit passé.

Enfin, alors que les odeurs d’ammoniaque et de soufre étaient devenues presque insupportables, Alema commença à entendre d’étranges glouglous et clapotis. Elle émergea sur une étroite mezzanine donnant sur un puits de brume jaune. Cela ne ressemblait en rien à l’antre du plaisir qu’elle avait imaginé, pourtant elle traversa le balcon sans hésitation. À la manière typique des Yuuzhan Vong, il n’y avait pas de rambarde. Le sol de corail yorik s’arrêtait abruptement au-dessus d’un bassin de boue fumante.

Des bulles crevaient sans cesse la surface, montant des profondeurs, et explosaient en petites étoiles rouges et jaunes. Les parois étaient tachetées de lichen bioluminescent, à peine visible à travers la purée de pois. Mais Alema aperçut d’autres balcons, d’où des Ferais jetaient des carcasses d’animaux – et parfois de bipèdes – dans la fange. Les éclaboussures étaient aussitôt suivies par une sorte de gargouillis chuintant, comme si les corps étaient trop lourds pour flotter.

Alema plissa le front, se demandant ce qu’elle voyait. Dans la ville profonde de Coruscant – et surtout dans la partie qui était toujours Yuuzhan’tar – les animaux morts étaient dévorés par les Ferais ou autres charognards bien avant que la viande n’ait le temps de se gâter. Alors le puits ne pouvait pas être un dépotoir. Non, les Ferais nourrissaient quelque chose – quelque chose qui intéressait également Jacen.

Elle allait faire demi-tour quand un murmure lui parvint à travers les vapeurs. Il lui était impossible de distinguer les mots, à cause des bruits de succion, mais cela n’avait pas d’importance. Elle reconnut la voix – son timbre sombre, son rythme soigné et surtout ses inflexions condescendantes.

Jacen.

Alema focalisa toute son attention, essayant de le situer. Mais l’environnement jouait en sa défaveur, noyant les paroles du Jedi. Jusqu’à ce qu’elle s’y accoutume suffisamment pour comprendre ce qu’il disait.

— ... laissez-moi me soucier de Reh’mwa et des Bothans. (Jacen semblait irrité.) Quitter le Puits était de la folie. Je ne peux pas vous protéger ici.

Pour toute réponse, Alema n’entendit qu’un murmure liquide, mais Jacen parut comprendre.

— C’est ridicule. Je le saurais si j’avais été suivi. Même les assassins bothans ne sont pas si doués.

Tout doucement ; Alema utilisa la Force pour éclaircir le brouillard entre elle et sa proie. Elle courait le risque que Jacen la sente, mais elle n’aurait droit qu’à un tir et elle devait voir sa cible. Et puis, il était apparemment trop préoccupé pour se rendre compte de cette infime perturbation.

Après un autre son comme de l’eau courante, la voix de Jason parut soucieuse.

— Ici ? Vous en êtes sûr ? Un court gargouillis.

— Oui, bien sûr que je m’en soucie, répondit-il avec raideur, décrochant son sabre laser de sa ceinture. Vous êtes le meilleur atout de la GAG. Sans vous, nous ne pourrions pas traquer un dixième des cellules terroristes de maintenant.

Enfin, Alema put voir Jacen, et elle fut surprise de constater qu’il discutait avec une monstruosité noire sortie de la boue. La chose était si large qu’elle ne pouvait qu’en imaginer la taille. Son œil avait une pupille aussi grosse que la tête d’un Sullustéen, et ses tentacules étaient aussi épais qu’Alema. Bien sûr, comme tout dans ces bas-fonds, elle était typiquement yuuzhan vong.

La créature cligna de l’œil et agita ses membres à la surface.

— Je ne peux pas bannir les Bothans de la planète ! fit Jacen. Bothawui rejoindrait aussitôt le camp de Corellia !

Et soudain, Alema comprit ce qu’était l’interlocuteur de Jacen. Pendant sa captivité aux mains des Yuuzhan Vong, il s’était lié d’amitié avec le Cerveau Monde que les envahisseurs avaient créé pour qu’il supervise la transformation de Coruscant. Avant de s’échapper, Jacen l’avait persuadé de contrecarrer les plans de ses maîtres et de ne coopérer que partiellement. Puis, vers la fin de la guerre, il avait convaincu son « ami » de changer de camp et d’aider l’Alliance Galactique à reprendre la planète. Aujourd’hui, il l’utilisait pour espionner les terroristes corelliens.

Cet homme était redoutable.

Alema leva la sarbacane et, dissimulant la flèche grâce à la Force, souffla.

La pointe venait à peine de jaillir quand une voix rauque de femme cria :

— Jacen !

Il pivota sur les talons, allumant son sabre laser. Mais le projectile était minuscule, rapide et toujours invisible, et Alema fut satisfaite de voir qu’il ne levait pas sa lame pour l’arrêter.

Puis Jacen poussa un cri et fut soulevé et projeté en arrière. La fléchette le dépassa pour s’enfoncer dans l’œil énorme du Cerveau Monde, qui rugit de douleur.

Alema fut surprise, déçue et furieuse – mais pas tétanisée. Elle avait participé à bien trop de combats à mort pour être paralysée maintenant. Elle se tourna vers la voix qui avait averti Jacen.

À cinq mètres environ, sur un balcon plus élevé que le sien, se tenait la silhouette floue d’une femme mince en robe écarlate. Son bras était toujours tendu vers le bassin – c’était bien elle qui avait écarté Jacen.

Lumiya.

Alors qu’Alema se renfonçait dans l’ombre, Lumiya la montra du doigt.

— Là, Jacen !

Alema voulut fuir, mais la brume se teinta de bleu, et un craquement sinistre retentit derrière elle. L’instant suivant, elle glissait sur le sol, saucissonnée par des cordes d’énergie.

Alema ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Lumiya venait-elle de sauver Jacen ? L’attaque venait-elle de lui ? Mais elle n’eut pas le temps d’y réfléchir. Elle banda ses muscles tétanisés et se traîna vers le couloir, puis elle se mit à genoux et utilisa la Force pour s’envelopper d’ombre.

Alors qu’elle s’emparait d’une autre pointe, elle prit conscience qu’elle avait lâché sa sarbacane.

Jacen arriva soudainement, simple silhouette à peine reconnaissable, mais il brûlait d’une rage si vive qu’elle en sentait la chaleur dans la Force. Alema n’aurait jamais cru qu’il soit capable d’un tel sentiment.

Jacen alluma son sabre laser, une lumière verte s’en échappa, donnant à ses yeux un éclat meurtrier. Il repéra la sarbacane et s’avança lentement.

Un cri strident monta du Puits du Cerveau Monde. Puis une dizaine de tentacules jaillirent et se tortillèrent, se blessant sur les parois et les balcons, éclaboussant tout de sang.

Les yeux de Jacen devinrent aussi sombres que des trous noirs alors qu’il étudiait le passage où Alema se cachait.

Celle-ci n’était pas sans savoir qu’elle n’avait pas le pouvoir de le tuer d’une seule attaque – ni l’occasion d’en livrer deux. Elle s’ouvrit à la Force et se prépara à le réduire en cendres d’un éclair.

Mais une seconde silhouette – celle d’une femme mince et voilée – apparut et zigzagua pour esquiver les tentacules comme seule une personne entraînée dans la Force pouvait le faire.

Alema tendit la main – elle ne laisserait pas Lumiya la priver de sa proie !

Seulement, au lieu d’attaquer Jacen, Lumiya lui prit le bras et le tourna vers le monstre.

— Jacen, ce sont des convulsions, dit-elle. Nous devons ralentir le poison immédiatement ou ton espion mourra.

Alema en resta bouche bée. Le ton de Lumiya était celui... d’un maître s’adressant à son élève.

— Mais l’assassin...

— Préférez-vous vous venger ou préserver votre meilleure source d’informations ?

— Il ne s’agit pas de vengeance, fit-il, mais de justice. Nous ne pouvons pas laisser un assassin...

— Il n’est que l’outil, coupa la Sith. C’est la main qui le tient que nous devons arrêter, autrement dit Reh’mwa et ses lieutenants.

La fureur de Jacen continuait à se déverser dans la Force. Lumiya le lâcha comme s’il la dégoûtait.

— Je vois que c’était une erreur de vous choisir. Allez. Elle fit un geste en direction de la cachette d’Alema.

— Vous n’êtes pas maître de vos émotions, vous en êtes l’esclave.

— Ça n’a rien à voir avec mes émotions.

— Au contraire ! lança-t-elle. Vous êtes en colère parce que votre ami a été blessé, et vous ne pensez plus qu’à faire « justice ». Vous êtes un cas désespéré.

Le dernier commentaire de Lumiya piqua Jacen au vif. Il tourna son regard vers la sarbacane, qu’il appela à lui.

— Dis à Reh’mwa que nous arrivons, lâcha-t-il à l’adresse d’Alema, qu’il prenait pour un assassin bothan. Cela ne restera pas impuni.

Puis il suivit Lumiya, et tous deux contournèrent les tentacules du Cerveau Monde. Mais même après leur départ, Alema resta immobile, sous le choc.

Jacen Solo était l’apprenti d’une Sith.

La galaxie était-elle devenue folle ?